Le Cours Boutet de Monvel
Est-ce leur intérêt partagé pour la musique qui a conduit les BERR et les NEUBURGER à inscrire Hélène et Odile au Cours Boutet de Monvel ? 24 ans plus tôt, Lisette FRANCK fréquente aussi le Cours Boutet de Monvel. Si l’on se réfère à ce qu’écrit son fils, Bernard ULLMANN « le cours était tenu par deux vieilles demoiselles, ‘Tante Juliette’ et ’Tante Cécile’ BOUTET DE MONVEL, apparentées aux BRISSAUD[1]. Ce sont des femmes énergiques, cultivées et très musiciennes.»[2] Cécile et Juliette sont les petites-filles d’Adolphe NOURRIT (1802-1839), l’un des plus grands ténors de son temps. Elles ont pour cousin le compositeur César FRANCK. Cécile est pianiste (1er prix au Conservatoire de Paris, 1883) et a étudié avec son cousin, sur lequel elle écrit des articles entre 1890 et 1904 [3]. Le goût de la musique est donc dans la famille, et on peut imaginer qu’il se répercute dans l’éducation dispensée par l’institution dirigée par les deux soeurs. La musique n’est pas le seul art auquel s’adonnent les membres de la famille, car Maurice BOUTET DE MONVEL, le frère de Juliette et Cécile est un peintre reconnu.[4] Juliette est d’ailleurs peut-être un de ses modèles.
Situé 255 rue du Faubourg Saint-Honoré et Le Cours Boutet de Monvel commence dès l’Ecole Primaire (Lisette FRANCK y apprend à lire et à écrire) et se caractérise par une assez grande ouverture, puisque il est fréquenté par les garçons comme par les filles, ce qui est rare pour l’époque. L’enseignement est laïc, et les élèves appartiennent à toutes les confessions. Bernard ULLMANN écrit cependant : « des Israelites, il n’y en a pas beaucoup dans cette école très BCBG du début du siècle »[5] Lisette FRANCK y sera d’ailleurs traitée de « sale juive, peut-être même de tueuse du petit Jésus » [6] par des petites « camarades », ce qui lui vaudra un cours sur l’antisémitisme dispensé par son père et son frère, le brillantissime, et hélas météorique Henri FRANCK[7] : « Tu vois, nous n’allons jamais à la synagogue, qui est l’église de Juifs. Nous mangeons de tout, même du porc, ce qui est en principe interdit à tous les Juifs pieux […] Et pourtant oui, nous sommes Israelites et fiers de l’être, mais nous sommes avant tout des Français. Et si l’Allemagne nous attaque demain, je partirai, comme les autres garçons , pour défendre la France et pour reprendre l’Alsace et la Lorraine. »[8]
Cette ouverture persiste à l’époque où Hélène et Odile , âgées respectivement de 8 et 9 ans, y font connaissance. Et persiste aussi sans doute, de la part de quelques camarades un fonds d’antisémitisme, qui peut expliquer la façon acide dont Hélène et Odile évoquent certaines de ces dernières. Denise V. en particulier, qui se donne de l’importance[9], est l’objet constant de leurs sarcasmes.
[1] Leur soeur aînée, Hélène BOUTET DE MONVEL a épousé le docteur Edouard BRISSAUD (celui auquel Marcel PROUST compare le personnage de COTTARD, « qui serait aussi fort que BRISSAUD »
[2] Lisette de Brinon, ma mère – Une Juive dans la tourmente de la Collaboration, Bernard ULLMANN, Collection Questions à l’Histoire, Complexes Eds, 2004
[3] https://data.bnf.fr/fr/16702100/cecile_boutet_de_monvel/
[4] Il sera nommé Chevalier de la Légion d’Honneur
[5] Ibidem
[6] Ibidem
[7] Normalien à 18 ans, son œuvre unique est un long poème, « La Danse devant l’Arche », publié dans la NRF. Il échange une correspondance nourrie avec Gabriel Marcel, Léon Blum, André Spire, Maurice Barrès ou Anna de Noailles (qui sera sa muse) .Il meurt de tuberculose à 24 ans.
[8] Ibidem
[9] « Denise V. verbe en se dandinant » Lettre d’Odile à Hélène du 16 Décembre 1936