Je m’appelle Pierre Antoine David HYAFIL NEUBURGER.

Pierre, parce qu’il est mort à 11 ans à Auschwitz. Antoine parce qu’il est mort à 7 ans à Auschwitz. De même que leurs sœurs Myriam 10 ans, et Francine 4 ans, leur mère Odette PIERRE KAHN et leur père André.

André BAUR, que son oncle Julien WEILL Grand Rabbin de Paris, avait poussé à accepter la présidence de l’Union Libérale Israélite de France, puis de l’UGIF, institution juive hybride de collaboration et de résistance, s’était opposé aux méthodes sadiques d’Aloïs BRÜNNER à Drancy, ce qui lui avait valu d’être déporté, puis assassiné, suite à une expérience médicale d’un médecin nazi. Le prétexte de la déportation de toute la famille avait été l’évasion d’un cousin par alliance. Le cousin a eu raison. BRÜNNER aurait de toute façon eu la peau d’André BAUR

Ma mère, Odile NEUBURGER, m’avait donné les prénoms de ses cousins germains, puis David (ou Daoud) parce que je suis juif et HYAFIL ou El YAFFI parce que c’est le nom de mon père.

Aujourd’hui paraissent chez TALLANDIER des extraits de la Correspondance de ma mère avec sa meilleure amie, Hélène BERR, morte à Auschwitz à 24 ans en 1945, dont le Journal, publié en 2008, a déclenché une émotion dans tout le monde occidental. Ma mère a survécu 20 ans à Hélène, détruite par une tumeur au cerveau.

Pierre, Myriam, Antoine et Francine BAUR, peu avant leur déportation

L’Odile que nous avons connue n’était plus la jeune fille de la Correspondance. La mort d’Hélène l’avait dévastée. Celle de ses cousins germains, de son oncle, de sa tante, et de tant d’autres aussi. Elle ne vivait plus pour elle, mais pour ses enfants. Par moment, pourtant, comme un rayon de soleil, une effusion de rires et de tendresse nous transportaient, mon frère et moi, dans le monde qu’elle avait espéré jeune fille.

Avec Hélène, elle avait envisagé une carrière littéraire. Elle ne voulait plus en entendre parler. Pas sans Hélène. Restent de ces ambitions un roman autobiographique pas tout à fait terminé, et des lettres dans lesquelles elle retrouvait le style des lettres de sa jeunesse. Beaucoup des lettres anciennes ont été retrouvées. Avec le roman, elles formeront après la publication de la Correspondance, un deuxième ouvrage, centré sur la période 1942-1945. Témoignage d’une jeune fille dont les parents ont eu les moyens de fuir en zone libre, pour fuir une arrestation imminente, et qui jusqu’à la mort d’Hélène continue à aimer la vie, malgré tous les dangers qui l’entourent.

J’ai déchiffré, recopié, annoté les 174 lettres qu’Odile a écrites à Hélène, et les 74 lettres qu’Hélène a écrites à Odile. J’ai fait imprimer à 50 exemplaires en Décembre 2021 un exemplaire familial constituant une ébauche du livre à paraître. Dominique MISSIKA parallèlement avait fait un choix des extraits des lettres d’Odile qu’elle envisageait de publier. Nous avons comparé : les deux projets avaient le même nombre de pages. Spécialiste de la période, munie de mes propositions et de mes annotations, Dominique a mobilisé son talent d’historienne et d’éditrice pour transformer les ébauches en livre. Celui-ci est différent de l’ébauche que je lui avais remise, mais en conserve l’esprit..

On y découvre une relation d’abord légère, parfois futile, qui prend de l’épaisseur au fur et à mesure que les évènements assombrissent le cours de l’Histoire. Les deux amies partagent la même pudeur et la même timidité, les même valeurs aussi, mais chacune réagit à sa façon. A Hélène la sage, qui cultive son jardin intérieur, répond Odile primesautière, qui lutte contre sa timidité en montrant de l’audace, mais devient écarlate pour un rien. Et chacune trouve dans l’autre ce qui la complète et qui la transforme. Avant-guerre, c’est plutôt Odile dont le dynamisme entraine Hélène à sortir de son cocon.

Après la guerre, ses horreurs, la mort d’Hélène, d’amis, de membre de sa famille, à cause des échanges plus intimes permis par les lettres, c’est Odile, « plus grave, plus mûre, plus poignante », qui était presque devenue Hélène.


Pierre Antoine HYAFIL NEUBURGER